Egypte
Carnets de voyages
Depuis cinquante ans, la Nubie ( région qui s’étale du sud de l’Egypte au nord du Soudan) est immergée, noyée sous les eaux du Lac Nasser, lac de retenue du Haut-barrage d’Assouan. En 1964, son peuple a été déplacé au Nord, pour les égyptiens, et au Sud, pour les soudanais. La décision de Gamal Abdel Nasser de construire cet immense édifice qu’était le Haut- Barrage d’Assouan a été la condamnation de tout un peuple pour la survie d’un pays et la gloire de son chef. La Nubie égyptienne a été effacée de la carte, et, si cela semblait nécessaire pour produire l’électricité pour tout un pays en pleine explosion démographique, il est certain que le déracinement du peuple nubien n’était pas pour déplaire à Nasser qui était en train de redonner l’Egypte aux égyptiens, tous unis autour d’une même nation, d’une même culture. En effet, les nubiens avaient leur propre langue, leurs propres coutumes, très différentes du reste du pays, et n’étaient que peu religieux… Leur déplacement a tout d’abord séparé les nubiens égyptiens et soudanais de plusieurs centaines de kilomètres alors qu’ils se considéraient comme un seul et même peuple. De plus, leur vie organisée autour du Nil, (ils étaient agriculteurs), a été totalement bouleversée par leur arrivée dans des villages construits à la hâte en plein désert parmi les populations égyptiennes saïdis près de Kom Ombo. Les hommes qui se souviennent de la Nubie d’antan ont aujourd’hui plus de 50 ans. Il est donc grand temps de les écouter et de transmettre leurs souvenirs et leurs connaissances à la jeune génération nubienne et au monde qui ne connaît pas ce peuple. Lorsqu’ils étaient petits, ils jouaient devant les temples , et aujourd’hui c’est le seul repère qu’il leur reste de la Nubie, même s’ils envient le sort réservé aux statues, sauvées de la noyade et toujours au bord de l’eau.“Si nous avions été des statues nous aurions été mieux traités” dit Abdelrahman avec tristesse,tout en étant heureux de pouvoir encore contempler les statues magnifiques de Ramsès II. Ils regrettent d’avoir été sacrifiés sans leur consentement et dans le plus grand silence, contrairement au chantier international de sauvetage des temples.A Abou Simbel, nous avons rencontré ceux qui sont retournés vivre au plus près de leur terre d’origine, et qui oeuvrent pour la préservation de la langue , de la musique, des traditions culturelles nubiennes.Fekri promeut la culture nubienne avec sa bibliothèque remplie d’ouvrages sur la Nubie perdue, en plusieurs langues.Hussein est en train de répertorier le vocabulaire nubien pour que la langue ne disparaisse pas. Yasser, qui travaille comme maître d’hôtel chez Fekri, n’a appris à son fils que le nubien, l’école se chargera de lui apprendre l’arabe…Et souvent, le soir, tous ces amis se retrouvent afin de chanter et jouer la musique nubienne traditionnelle chez Fekri… A la surface des eaux dorées du Lac, les pensées glissent des souvenirs d’antan à l’avenir de la Nubie et de l’Egypte aujourd’hui si instable, sous le regard des statues de Ramsès qui, elles, ont tout vu du passé et sauront tout de ce l’avenir… Photos, Sons, à l’occasion du tournage du documentaire « Si nous avions été des statues.. » de Anne Terrasse.